Nous parlons maintenant des pactes d'actionnaires. Pour parler des pactes d'actionnaires, je suis avec Dominique Ledouble, expert-comptable et commissaire aux comptes. Les pactes d'actionnaires, qu'est-ce que c'est ? Les textes n'en parlent quasiment pas et il n'y a certainement pas de chapitre du Code civil ou du code de commerce consacré aux pactes d'actionnaires. Cela désigne une pratique. C'est une convention qui est passée entre tout ou une partie des actionnaires, et pas seulement des actionnaires d'ailleurs, des associés d'une société. Mais la pratique les appelle pactes « d'actionnaires » parce que c'est plus souvent dans les sociétés par actions qu'on les rencontre. C'est une convention entre tout ou partie des associés ou des actionnaires qui décident ensemble de prendre un certain nombre d'engagements. Parmi les engagements les plus fréquents qu'ils peuvent prendre, il y a des engagements de vote : nous nous mettons d'accord, nous qui constituons ensemble une fraction significative du capital d'une société, peut-être la majorité, nous nous mettons d'accord pour dire que nous voterons à l'assemblée pour la désignation de tel ou tel dirigeant, de tel ou tel administrateur. Cela évite que, le jour de l'assemblée, on ait un doute, que nous, parties au pacte, ayons un doute sur qui sera nommé dirigeant. Voilà un exemple de clauses assez fréquentes, des clauses relatives à la direction. D'autres clauses fréquentes sont les clauses relatives à l'encadrement de la détention des parts ou des actions. Qu'est-ce que je veux dire par là ? Je veux dire que nous avons des clauses qui disent sous quelles conditions on doit céder ses titres ou sous quelles conditions on ne doit pas les céder. Par exemple, je m'engage à ne pas céder mes actions pendant un certain temps ou je m'engage, si je cède mes actions, à les céder en priorité à l'un des actionnaires qui a signé le pacte avec moi. Voilà les clauses parmi les plus fréquentes que l'on rencontre. Dominique, quelle clause vois-tu dans ta pratique ? Dans la pratique évidement, ce qui m'intéresse, moi, ce sont les clauses qui ont une portée financière, pas les clauses qui sont simplement des droits politiques que l'on donne à certains actionnaires. Si je peux témoigner de la pratique en la matière (en tout cas de la mienne), c'est qu'on fait de plus en plus compliqué. L'imagination de nos amis avocats est absolument infinie, celle des parties aussi d'ailleurs, ce qui fait que les pactes sont de plus en plus difficiles à interpréter sur le plan de leurs conséquences financières. C'est-à-dire qu'il y a des fenêtres de ceci et cela, de cession, de droits préférentiels, de droit à avoir tel type d'investissements, de droit de sortie dans telles et telles conditions, etc. La constatation qu'on peut faire d'un point de vue financier est de se demander : quelle est la conséquence financière de ça ? commence ça s'interprète ? et est-ce que les gens, quand on leur dit : « voilà ce que donnent les calculs », est-ce que c'est bien ce à quoi ils s'attendaient ? Moi, les conditions dans lesquelles j'ai à regarder ces choses-là c'est, soit quand on est expert indépendant devant l'AMF dans le cas des opérations d'offre publique dans lesquelles il y a des pactes d'actionnaires postérieurs, soit en tant que commissaire aux avantages particuliers, cas dans lequel on regarde l'avantage particulier dans le contexte du pacte d'actionnaires qui va avec. Il m'est arrivé plusieurs fois de dire : « voilà exactement comment ça se présente, voilà les droits respectifs des classes A B C D E F d'actionnaires, voilà comment ça se passe dans tel type de situation, dans tel autre type de situation » et de voir les parties me dire : « Ah mais c'est pas du tout ce qu'on veut ! ». Je dis : « écoutez », ou : « j'ai mal compris », ou : « c'est ce que vous avez écrit ». Si j'ai une recommandation à faire, c'est peut-être de faire moins compliqué, ou en tout cas effectivement, quand on fait compliqué, de faire tourner plusieurs fois les machines pour être certain que les conséquences financières de ce qui est prévu sont bien celles qui ont été voulues par les parties. Je vous assure que ça n'est pas du tout un cas d'école. C'est très fréquent, notamment quand vous avez des tours de table à répétition dans des start-up de biotechnologie ou des choses de ce genre. Très bien. Quelques mots encore sur les pactes. On peut dire qu'il y a deux choses particulières dans les pactes : un avantage et un inconvénient. L'avantage est la confidentialité, parce que c'est une clause que l'on pourrait souvent mettre dans les statuts, mais en la mettant dans le pacte, on la garde confidentielle parce qu'on n'a pas à donner de publicité particulière à la clause. Quoi que, dans les sociétés cotées, on doit parfois révéler le pacte, mais je n'entre pas dans ce détail-là. Le problème que rencontrent beaucoup de pactes est celui de leur exécution, parce que les pactes prévoient des engagements dont il est difficile d'obtenir une exécution efficace devant le juge, notamment parce que, si on a dit ensemble qu'on voterait dans tel sens à l'assemblée, si l'un d'entre nous ne respecte pas son engagement et que finalement c'est une décision contraire qui est prise, ça ne fait pas, en règle générale, une cause de nullité de la décision de la société. La société a valablement pris sa décision. Nous, nous pouvons regretter que notre pacte n'ait pas été appliquée, mais la chose qui va nous rester le plus souvent est une simple action en responsabilité. Donc il faut que nous montrions notre préjudice et à ce moment-là, on pourra saisir un juge ou un arbitre pour obtenir réparation du préjudice qu'on a subi. Voilà. Je crois que c'est ce qu'on pouvait dire sur les pactes d'actionnaires. Dominique, je te remercie.