Nous venons maintenant à la question des groupes de sociétés. Cette question est importante en pratique. Qu'est qu'un groupe de sociétés ? Tout d'abord il faut dire que c'est une situation qui n'est pas envisagée de manière unitaire et complète par nos textes. On a un certain nombre de règles qui vont s'appliquer en présence d'un groupe de sociétés, mais avant de voir le régime du groupe, il faut se demander : qu'est-ce qu'un groupe ? On peut le décrire de la manière suivante : nous avons une société qui est contrôlée par une autre société. Voilà une hypothèse de groupe. C'est un tout petit groupe, mais une société mère qui contrôle une société filiale est déjà un groupe. Vous comprenez le problème, c'est que la société filiale, qui est, sur le papier, une société indépendante avec son intérêt propre, va agir dans un intérêt qui va être aussi celui de la société mère. Nous avons, du coup, des sociétés qui sont des personnes morales autonomes qui vont agir dans l'intérêt du groupe, mais l'intérêt du groupe n'est pas forcément l'intérêt de ces sociétés. Il faut tenir compte aussi du fait que nous avons quelque chose qu'on peut finalement décrire comme une entreprise globale, le groupe, mais cette entreprise globale est fractionnée entre plusieurs sociétés qui, chacune, sont des personnes morales avec leur propre patrimoine, avec leurs propres intérêts. De cette manière, on arrive à cloisonner les passifs parce que, telle activité risquée, on va la faire exercer par une filiale du groupe, par une des sociétés que la société mère contrôle. De cette manière, le jour où il y a un problème, les créanciers ne pourront obtenir paiement de leurs créances qu'auprès de la filiale. Normalement, il n'y a pas de remontée du passif vers la société mère. Donc c'est une situation particulière puisque nous avons des sociétés qui sont juridiquement distinctes, juridiquement autonomes et qui vont agir dans un intérêt commun, un intérêt du groupe, ce qui va parfois obliger certaines sociétés à faire des choses qu'elles n'ont pas envie de faire. Le régime du groupe est compliqué parce que nous avons plusieurs Droits qui vont appréhender le groupe, mais qui ne vont pas appréhender le même groupe et qui ne vont pas lui appliquer les mêmes règles. Alain, je te laisse donner quelques exemples. On peut prendre le droit du travail, le droit pénal, la consolidation ; je te laisse commencer par ce que tu veux Je crois qu'à peu près toutes les branches du droit sont parties du constat que tu as fait il y a un l'instant, qui est de dire : au fond, le groupe, c'est un espace économique intégré pour une large partie, mais cette intégration économique ne se retrouve pas sur le terrain juridique où les diverses entités sont autonomes, poursuivent un intérêt qui leur est propre. Ce constat est bien parce que, juridiquement, il est confortable, et qu'à de nombreux points de vue, l'intérêt de trouver une autre formule est très discutable. On évoque souvent en droit français le mérite qu'il y aurait à voir un véritable droit des groupes. Je crois qu'on serait très vite déçus et l'expérience prouve que chez nos voisins, on est souvent revenu de certaines expériences. Ceci étant, chacune des branches du droit en est venue à corriger les excès qui s'attachaient à cette indépendance. C'est vrai évidemment, pour l'information des actionnaires. C'est une vision plus comptable mais à partir du moment où un actionnaire est membre d'un groupe, il est impossible de lui apporter une information convenable si on lui donne les résultats d'une société sans qu'il ait les résultats des autres. Donc parce qu'il peut être actionnaire d'une société flambante qui nage dans un foyer de pertes, il a bien fallu admettre qu'on élargisse l'information à l'espace du groupe. En matière de droit du travail, on a eu des réalités à peu près du même type : comment considérer que les salariés de filiales différentes, membres d'un même groupe, soit traités différemment ? On peut s'y résoudre et le droit du travail s'y est résolu, mais jusqu'à un certain point. C'est comme ça qu'est né le comité de groupe. Il fallait bien que, quelque part, on incarne cette collectivité de salariés, et le droit du travail en a tiré d'autres conséquences également : quand il s'agit de reclasser les salariés d'une entité en difficulté, d'autres entités du groupe peuvent être accueillantes. Toujours le droit des entreprises en difficultés bien entendu, lui non plus ne pouvait pas rester indifférent. Il est quand même difficile de considérer qu'au sein d'un même groupe, il y ait une indépendance totale alors qu'en fait, en pratique, on constate qu'une société s'est largement immiscée dans la vie de l'autre et quelquefois même tenait totalement les commandes. D'où des théories comme la confusion de patrimoine pour attirer des sanctions. Et puis il y a cet aspect que tout le monde connaît un peu parce qu'il est plus spectaculaire, c'est la dimension pénale. Il y a de de longues années de cela, un dirigeant d'une société française avait été arrêté en Belgique. Cela avait traumatisé profondément les milieux français parce qu'on avait constaté effectivement que quelqu'un pouvait être poursuivi à la tête d'un groupe parce qu'une de ses filiales, avait été « ponctionnée » au profit d'une autre filiale qui elle, était déficitaire en trésorerie. La Cour de cassation a été assez sensible à cette réalité et, dans un arrêt « Rozenblum », le 4 février 1985, elle en est venu à considérer qu'on pouvait admettre un intérêt de groupe pour justifier des transferts de trésorerie d'une filiale vers l'autre dès l'instant où, évidemment, il y avait un groupe et un intérêt de groupe. On a ensuite la société « victime » qui avait des contreparties. À partir de ce moment là, on a considéré qu'on pouvait reconnaître un intérêt de groupe qui dépassait l'intérêt social de chacune des entités. C'est là l'avancée la plus spectaculaire mais sans laquelle la vie des groupes serait extrêmement périlleuse. Voilà quelques Droits qui se sont attachées à « reconstruire » le groupe, mais je le rappelle, il ne s'agit jamais de refabriquer une unité juridique qui serait le pendant de l'unité économique. Il s'agit là, à chaque fois, d'exceptions à un principe d'indépendance. Tout ce que je viens de dire, ce ne sont que des exceptions à un principe général. Oui et c'est cela qui rend cette jurisprudence « Rozenblum » d'autant plus intéressante : c'est qu'en principe, une société qui fait partie d'un groupe ne peut pas utiliser son argent, sa trésorerie, pour financer d'autres sociétés du groupe parce qu'elle va utiliser du coup cette trésorerie dans l'intérêt d'un tiers. On peut admettre que c'est ce que fait cette jurisprudence : on prend finalement en compte l'existence du groupe parce que ce sont des entreprises qui travaillent ensemble. C'est une entreprise commune d'une certaine manière et on peut admettre cela, mais avec des conditions strictes comme tu l'a dis. Notamment, on va vérifier qu'il y a une contrepartie prévue pour la société qui apporte le financement à une autre société du groupe. Oui, on peut dire d'ailleurs, que les grands groupes ont, en partie, écarté le risque en transformant leurs filiales sociétés anonymes en SAS et souvent en SAS unipersonnelles. À partir du moment où je n'ai plus de minoritaire, je n'ai véritablement personne qui pourra, demain, dénoncer la situation. Ce n'est pas la seule raison, mais c'est manifestement une des raisons : dans beaucoup de groupes on essaie d'écarter tous les minoritaires pour se simplifier un petit peu l'existence. Très bien. Merci Alain.