Toujours en matière de cession de parts et d'actions, il faut aborder une chose importante en pratique, la question des garanties tacites. Je suis à nouveau avec Alain Couret, Professeur à Paris 1 comme moi, avocat associé, et nous allons évoquer cette question des garanties de passif, déjà pour dire que, dans les textes, on ne trouve rien sur les garanties de passif ou quasiment rien. En quoi consistent-elles ? Lorsque l'on fait une cession de parts ou une cession d'actions, le cessionnaire, donc l'acquéreur, peut vouloir se garantir et demander, en plus des garanties légales dont on sait qu'elles ne sont pas très fortes, pas très efficaces, demander des garanties contractuelles, c'est-à-dire que, –pour faire au plus simple au plus clair – si une dette apparaît mais qu'elle a une origine antérieure à la cession, le cédant lui devra garantie, c'est-à-dire qu'il devra peut-être verser une certaine somme à la société cédée pour éteindre la dette ou verser une somme au cessionnaire, à l'acquéreur, pour compenser la perte de valeur qu'il subit. Voilà donc, ce sont des garanties contractuelles assez variées et qui vont être stipulées par les parties à une cession avec généralement une discussion assez importante sur la formulation et l'étendue de la garantie. Alain, est-ce que tu peux évoquer la typologie de ces garanties, les grandes catégories ? Oui, je crois qu'il a beaucoup de variantes. Surtout les praticiens ont l'art de mélanger un peu les genres – ce qui est normal d'ailleurs – pour assurer la meilleure protection. On peut quand même essayer de faire une typologie. On peut partir de la distinction peut-être la plus simple et qui reste vraie malgré les évolutions, qui consiste à dire : d'un côté, on va avoir de véritables garanties de reconstitution du patrimoine. Je m'engage à garantir l'actif et le passif : si un passif qui trouverait son origine à l'époque où j'étais le propriétaire de la société venait à apparaître, je m'engagerais à garantir ce passif. « Garantir », cela veut dire que, quasiment sans limite aucune, je m'engage à tout réparer. Donc ce sont des clauses extrêmement dures puisque, si on n'a pas nuancé les choses, c'est un acte de reconstitution du patrimoine. Normalement je vais verser les sommes dans le patrimoine de la société et non dans les poches de l'acquéreur lui même. C'est le modèle radical. Évidemment ce modèle extrêmement brutal a fini par désespérer la pratique et on a vu se développer une deuxième variété qui, elle, participe beaucoup plus de l'idée de réviser le prix qui est payé par le cessionnaire, avec une limite naturelle qui est ce prix, c'est-à-dire que s'il arrive un moment où, véritablement, l'entreprise que j'ai vendue ne vaut rien, le prix deviendra un prix zéro. Là on est en présence de clauses qui sont moins violentes et qui sont évidemment plus facilement supportables par le débiteur. Maintenant, quand on regarde les axes de la pratique, on constate que les avocats ou les notaires, tous les rédacteurs ont l'art de combiner un ces catégories. On trouve des clauses de reconstitution avec un plafond, ce qui fait qu'on ne reconstitue pas intégralement ; on trouve divers processus de plafonnement de franchise qui font que l'opposition que j'ai présentée est quand même beaucoup moins radicale dans les faits que ce que l'on peut écrire. Oui. On va aussi trouver des clauses d'exclusion de certains passifs. Ne seront pas garantis les passifs dont l'acquéreur a connaissance ou aurait dû avoir connaissance. On va trouver ce type d'exclusion puisque l'idée est que, si vous achetez une société, on veut bien vous garantir des choses dont on n'a pas tenu compte pour déterminer le prix, mais, en revanche, ce que vous connaissez ou que vous devriez connaître, on peut considérer que ça ne sera pas compris dans la garantie parce que vous achetez la société aussi en considération de ces choses. On pourrait évoquer d'ailleurs une clause qui assez proche de celle des garanties de passif, mais très rapidement, ce sont les clauses de complément de prix ou d'earn out puisqu'elles se développent beaucoup. Si je vends ma société, on pourrait déterminer un prix élevé et puis après on découvrirait que finalement une partie du prix n'est pas due et qu'il faut la rendre. Là, c'est plutôt le contraire : on part d'un prix bas et si la société, dans les exercices qui viennent, réalise des résultats qui dépassent un certain seuil, alors j'aurais droit à un complément de prix. C'est-à-dire que je t'ai vendu par exemple, Alain, ma société ; tu la développes et si tu la développes dans les deux exercices qui suivent la vente de sorte qu'elle fasse un résultat qui dépasse un certain seuil, à ce moment là, tu devras me verser une certaine somme à titre de complément de prix. Le problème que posent ces clauses, est qu'il est assez tentant pour celui qui achète la société de ralentir un peu l'activité sur les deux exercices qui suivent la cession, et puis le troisième exercice de faire bondir la société d'un seul coup et de faire réaliser ces fameux résultat que moi, j'attendais. C'est très frustrant pour moi qui ai vendu ma société, parce que je ne peux que me dire « Ah, si j'étais resté aux commandes de la société, elle aurait fait un bien meilleur résultat » et du coup ce sont des clauses qui, en apparence, sont très simples et très justes – voilà, vous vendez votre société et vous obtiendrez un juste prix – sauf qu'elles génèrent un contentieux important puisqu'il va être assez tentant pour moi, cédant, de contester si la société a des résultats décevants, et pour le cessionnaire, d'essayer de trouver le moyen de maquiller ou d'empêcher le jeu de la clause. Oui, ce sont des clauses à fort contentieux qui se développent en Europe parce qu'au fond, c'était une pratique qui était un peu inusitée jusqu'à une époque récente. Elle se développe. Je crois qu'il faut bien comprendre que la grande difficulté pratique sera toujours de s'entendre sur ce qu'est un résultat. Comment le définir ? On peut l'approcher techniquement. On peut toujours dire que le résultat sera tels éléments, mais il pourra toujours y avoir discussion aussi sur la manière de le réaliser et, bien souvent, on le voit en pratique : une PME est absorbée par un grand groupe ; cette PME produisait probablement des résultats qui étaient sincères ; simplement le grand groupe va appliquer ses propres méthodes comptables ; il va normaliser tout cela dans son ensemble et les résultats ne sont plus les mêmes en fait. C'est le résultat du changement de méthode. C'est le résultat aussi du fait qu'une PME extrêmement dynamique lorsqu'elle a un leader charismatique se trouve quelquefois être beaucoup moins dynamique dès lors qu'elle rentre dans le giron d'un grand groupe. Donc il y a une telle quantité d'éléments qui vont interférer avec une logique apparente qui était de dire : « À partir de tel résultat, on fera ou on ne fera pas », que, bien souvent, des contentieux naissent. Naissent aussi les contentieux liés à la difficulté technique : les clauses d'earn out sont souvent très très sophistiquées bien sûr, parce que tout ça va se faire avec une espèce d'échelle de résultats et de conséquences attachées, que le cédant n'a pas comprise. Pour lui c'est évident et, en réalité, à l'heure où l'on essaye de mettre en œuvre la clause, le cédant découvre que, manifestement, il n'a pas compris la logique des choses. Donc voilà. Ce sont, je crois, d'excellentes clauses, notamment dans les périodes de dépression économique où, à un certain moment, la valorisation des entreprises est faible parce que le marché n'est pas bon et la possibilité d'anticiper sur un futur qu'on espère meilleur est évidemment très confortable. Bien. Nous avons donc vu ces clauses à la fois de garantie de passif et de complément de prix. Merci, Alain.