Nous abordons maintenant des opérations de restructuration particulièrement importantes puisque nous allons parler des fusions et des scissions. En quoi est-ce que ces fusions et ces scissions consistent ? Je vais en parler avec Alain Couret, professeur comme moi à l'Université Paris 1 et avocat. Fusions et scissions : décrivons-les simplement. En cas de fusion, que se passe t-il ? Nous avons une société qui en absorbe une autre ; il y a une absorbée et une absorbante ; l'absorbée va disparaître dans l'opération et l'absorbante va recevoir, va « absorber » tout le patrimoine de l'absorbée (ou presque tout le patrimoine, mais en principe tout le patrimoine), c'est-à-dire que tous les biens, tous les contrats, toutes les dettes que peut avoir une société absorbée vont aller à l'absorbante. Qu'est-ce qui arrive aux actionnaires ou aux associés de cette société qui disparaît ? Est-ce qu'il ne leur reste rien ? Ils vont devenir eux-mêmes associés ou actionnaires de l'absorbante. C'est la fusion. La scission : que se passe t-il ? Nous avons une société qui va disparaître là encore, mais elle va se scinder : cette société va transmettre son patrimoine à deux ou plus sociétés bénéficiaires là aussi, avec cet effet de transmission universelle du patrimoine, mais dont le patrimoine va être partagée entre les sociétés bénéficiaires. Alain, est-ce que tu veux commencer en évoquant les conditions d'une telle opération ? Et puis nous verrons ensuite les effets. Oui Bruno, s'agissant des conditions, de manière évidente on est en présence d'un acte grave, d'un acte important pour l'absorbée puisque l'absorbée va disparaître. L'on comprend bien que l'on réunisse une assemblée générale extraordinaire puisque c'est la loi même de la société qui va être ici modifiée. Côté absorbante, on conçoit également le même formalisme parce qu'on va accueillir un apport qui n'est pas un apport quelconque : c'est un apport qui véhicule avec lui des passifs éventuellement. Il y a quand même une petite exception que notre droit a progressivement prise en compte, c'est le cas de la fusion absorption lorsque la filiale est détenue à 100% : à ce moment là, évidemment, d'un côté comme de l'autre, on ne voit plus très bien l'intérêt de passer par des assemblées générales très très lourdes. On a aussi les règles concernant la filiale à 90%, mais ce sont déjà des choses un petit peu spéciales. S'agissant de de la transmission universelle du patrimoine, je crois que c'est vraiment la caractéristique fondamentale des opérations de fusion, de scission ou d'apport partiel d'actif. Oui, nous n'avons pas encore parlé de l'apport partiel d'actif qui va emprunter une partie de son régime aux scissions effectivement. C'est une caractéristique assez extraordinaire parce que, contrairement à ce qu'on peut penser, un certain nombre de Droits de la planète ignore la transmission universelle du patrimoine. Il faut bien comprendre ce qu'est la transmission universelle du patrimoine. C'est d'abord la possibilité d'accueillir toute une série d'actifs qui, pour certains, sont soumis à des régimes juridiques très stricts. Donc si l'on n'avait pas d'effet de transmission universelle, il faudrait, pour chacun de ces actifs, appliquer les règles qui lui sont propres. S'il y a un bateau qui appartient à la société, pourquoi pas, il faudra appliquer le droit maritime et les règles concernant la transmission des bateaux ; si c'est un avion, même chose ; si c'est un fonds de commerce, on a une réglementation spéciale. La transmission universelle rabote tous les régimes spéciaux. Tous les biens se retrouvent transmis, transférés sans formalisme aucun, à des exceptions près, bien entendu, comme toujours. Donc c'est une situation extrêmement confortable parce qu'on voit bien que c'est un patrimoine qui va être transmis. Tous les éléments du passif vont être également transférés à la société absorbante qui va se retrouver en situation éventuellement de débitrice. Voilà le principe général. Maintenant on devine que ce principe général résiste mal à des cas un petit peu exceptionnels : Tous les contrats sont transférés oui, mais on sait bien qu'il y a des contrats dans lesquels la considération de son cocontractant est extrêmement importante. Est-ce que je peux admettre demain que mon partenaire soit une autre société que celle avec qui j'ai signé alors qu'il était essentiel pour moi de connaître cette structure et ces dirigeants ? Donc on voit bien que notre droit est inévitablement amené, au cas par cas, à prendre en compte des situations juridiques marquée par une très forte considération de la personne : les contrats de franchise par exemple, les contrats de concession exclusive, sont des contrats qui auront moins vocation à être transmis que d'autres. Même chose si on regarde du côté passif : évidemment tous les passifs sont transmis et c'est heureux, les créanciers savent que derrière la fusion ils vont avoir un partenaire, mais il faut bien imaginer par exemple que, dans cette responsabilité, il y a aussi une responsabilité qui est pénale et que dans notre droit qui est très axé sur l'idée de personnalité des peines, on imaginerait mal que la société absorbante soit poursuivie en justice pour des fautes pénales qui auraient été commises par l'absorbée. Donc au niveau de la poursuite, on voit bien qu'on ne peut pas transférer la responsabilité, mais bien sûr, si l'absorbée a été déjà condamnée et qu'elle s'est vu infliger une amende importante, la charge de cette amende passera dans le cadre de la transmission universelle. Voilà pour ce qui est de la fusion. On retrouve le mécanisme au niveau de la scission, mais dans une logique un petit peu différente. La scission fait éclater l'ensemble en plusieurs sous-ensembles, mais pour chacun de ces sous-ensemble, la transmission universelle va jouer. Dans l'apport partiel d'actif, on réduit encore l'espace : j'apporte une branche d'activité avec tous ses éléments actifs mais également avec tous ses éléments passifs. Oui alors que ce soit la scission ou l'apport partiel d'actif, ce sont des mécanismes (et surtout l'apport partiel d'actif d'ailleurs), qui peuvent être dangereux pour les créanciers : je pourrais décider d'apporter une activité à laquelle un fort passif est attaché même s'il n'est pas encore déclaré ; la règle de principe étant qu'il y a une solidarité entre la porteuse et la société bénéficiaire, les créanciers peuvent continuer, en principe, à poursuivre la porteuse, la société bénéficiaire des dettes attachées à l'apport. Mais il y a possibilité d'écarter cette solidarité. Une telle opération ouvre un droit d'opposition pour les créanciers, mais un droit d'opposition avec des délais assez courts. Finalement ce peut être une opération très dangereuse pour les créanciers que de voir leurs débiteurs apporter à une société éventuellement nouvelle et peut-être pas très solvable une branche d'activités et le passif qui va avec, qui inclut leurs créances. On pourrait ajouter que, historiquement, l'apport partiel d'actif est une construction totalement artificielle parce qu'on conçoit la logique de la transmission universelle lorsque l'absorbée disparaît : au fond, on reproduit le modèle humain en quelque sorte. À la mort de l'individu, ses héritiers reçoivent la succession ; il y a quelque chose de naturel indiscutable. Dans l'apport partiel d'actif c'est totalement artificiel de décider comme ça qu'un ensemble de biens va se trouver transformé en espèce de patrimoine, ce qui fait qu'historiquement, on a toujours vu une sorte de tentation des créanciers de dire : « la société apporteuse existe toujours. ». Quand l'absorbée est absorbée, elle est morte, il n'y a plus personne derrière. Dans l'apport partiel d'actif, il y a toujours une entité qui survit, ce qui fait que, comme tu l'évoquais Bruno, sa manière à elle peut être de se défausser des choses avec des conséquences pour les créanciers. Mais en sens inverse, il peut arriver que des créanciers soit tentés à tout prix d'aller chercher cette apporteuse en disant : « Après tout, elle existe toujours, elle est toujours vivante » et on voit pas mal de contentieux dans lesquels alors que, logiquement on devrait agir contre la société bénéficiaire de l'apport, c'est la société apporteuse qui est assignée. Il y a une différence fondamentale avec la fusion absorption qui montre le caractère quand même très artificiel de cet apport partiel d'actif. Ce transfert de personnalité n'a d'ailleurs été admis qu'à une époque très récente d'ailleurs. Oui c'est la jurisprudence qui l'a admis, les textes ne le disent absolument pas de manière claire et précise. Ils disaient qu'on pouvait soumettre l'apport partiel d'actif (ils disent encore) qu'on peut soumettre l'apport partiel d'actif au régime des scissions, mais ils ne disent pas ce qui entraîne transmission universelle de patrimoine pour l'actif apporté. Très bien, je te remercie Alain.