Alors nous abordons enfin un sujet extrêmement riche, qui est celui du gouvernement d'entreprise. On utilise aussi souvent le mot anglais de corporate governance, qui ne veux pas dire complètement gouvernement d'entreprise, mais qui voudrait plutôt dire gouvernement de la société. Mais c'est bien de cela qu'il s’agit et avec Alain Couret, nous allons en parler. Qu'est-ce que le gouvernement d'entreprise ? Pour faire simple, disons que ce sont des idées et des mécanismes que l'on va mettre en place pour assurer une meilleure direction à la société. Alors ce peut-être la loi qui prévoit des mesures de gouvernement d'entreprise, mais pas seulement. Le gouvernement d'entreprise, en tant que tel, c'est un ensemble de mesures qui touche certains domaines. Le premier de ces domaines, c'est le contrôle des conflits d'intérêts, c’est à dire, comment s'assurer de ce que les dirigeants gèrent la société dans l'intérêt de la société et pas dans leur intérêt personnel. Et nous avons un mécanisme bien connu, qui est celui dit du contrôle des conventions réglementées. C'est dans la loi, mais on peut dire que cela relève du gouvernement d'entreprise. C'est un peu original de parler de gouvernement d'entreprise pour cette mesure légale, parce que plus généralement, le gouvernement d'entreprise, on le trouve, et ce notamment sur la question du contrôle des conflits d'intérêts, dans des codes, dits de gouvernement d'entreprise. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ces codes Alain ? Je crois que le gouvernement d'entreprise, c'est avant tout une prise de conscience des dysfonctionnements. Cette prise de conscience est d’abord apparue aux Etats-Unis autour des années 30 et on la retrouve plus tard, autour des années 60. Au Royaume-Uni, elle intervient dans les années 90 et au fond, on ne va la retrouver en France qu’un petit peu plus tard. Cela ne signifie pas qu'il y ait eu une volonté d'imitation ou une volonté de se mettre dans la mode, mais c’est tout simplement le fait que nous avons un marché français dans lequel, aujourd'hui, les dernières statistiques nous disent que 47% des sociétés du CAC 40, dont les plus grosses sociétés françaises, sont détenus par des étrangers. Ces personnes avaient été sensibilisées aux problèmes du gouvernement d’entreprise sous d'autres latitudes et naturellement, avaient des attentes au niveau français. Alors, comment traduire ce gouvernement entre ces exigences là ? Comme tu l’as dit il y a un instant Bruno, on peut évidemment le mettre dans la loi et le législateur y a pensé quelques fois. On a quelques exemples, avec notamment la dissociation entre le président et le directeur général qu’a permis la loi NRE du 15 mai 2001. Mais d’une manière générale, il y a une prise de conscience, un peu partout, selon laquelle la loi ne serait pas efficace à ce niveau là. On a donc effectivement préféré la méthode des codes, mais avec des méthodologies d'approches extrêmement différentes. En effet, le code peut être, soit l'expression d'une espèce de volonté de place. C'est un petit peu le cas aujourd'hui en Allemagne et dans d'autres pays, où l’on va réunir divers experts et où l'on produit un document qui est représentatif d'un sentiment général de place, mais cela n'est pas totalement démocratique, parce que si démocratie il y avait, c'est l'assemblée nationale qui devrait le faire, même si globalement, tous les représentants des divers intéressés sont rassemblés. On peut aussi le faire avec d'autres méthodes et s'agissant de la France, ce sont deux syndicats qui ont pris la décision de proposer un premier code. Il s’agit du code AFEP-MEDEF qui, aujourd'hui, s'est imposé naturellement, d'ailleurs faute de concurrence véritable parce que fabriquer un code c'est compliqué et surtout lui donner de l'autorité et de la crédibilité prend beaucoup de temps. Donc aujourd'hui, ce code est la « seule » source, je dirais pratiquement la seule, de règles de gouvernement d'entreprise, avec évidemment la nécessité de prendre en considération le fait que ce code, émanant de deux syndicats pour l'essentiel, n'a pas la représentativité que l'on pouvait évoquer tout à l'heure, en évoquant l'exemple allemand. D'accord, donc ça, c'est le code AFEP-MEDEF, dont la dernière version date de juin 2013, qui est le code le plus suivi par les plus grandes des sociétés cotées. Nous avons un autre code, qui est le code Middlenext, lequel émane d'une association professionnelle pour les entreprises moyennes. Ces codes sont avant tout appliqués par des sociétés cotées en bourse, qu'elles soient grandes ou qu'elles soient moyennes. Les sociétés plus petites, peuvent prendre ces codes comme modèle. Ce que l'on peut dire encore, c'est que ce ne sont pas des textes obligatoires. Toutefois, il existe une règle que l'on connaît et qui est, en français, « Appliquer ou s'expliquer », et qui, en anglais, est plus connue sous la formule « Comply or explain ». Cela signifie que si vous suivez l’un de ces codes et que vous voulez en écarter certaines règles, il faut expliquer pourquoi vous écartez ces règles. Ainsi, ce sont des recommandations qui sont contenues dans ces codes. Je prends quelques exemples : il est recommandé d'avoir un certain nombre d'administrateurs indépendants dans le conseil d'administration d'une société anonyme cotée ; il est recommandé de soumettre la rémunération des dirigeants à l'assemblée dans la dernière version du code AFEP-MEDEF, ce que l'on appelle le « say on pay » ; il est recommandé d'avoir des comités spécialisés qui travaillent pour le conseil d'administration et qui facilitent la prise de décision par le conseil d'administration (comité d'audit, comité des rémunérations, comité des nominations). Il est aussi recommandé un certain nombre de pratiques et notamment, lutter contre les conflits d'intérêts, plus que la loi n'y oblige d’ailleurs. Un certain nombre de pratiques sont prévues par ces codes et ces pratiques vont être suivies par de grandes sociétés, ce qui, du coup, doit garantir à leurs actionnaires et donc au marché, une meilleure gouvernance dans le cadre de ces sociétés. Oui je crois qu'une chose qui me paraît importante ici, c'est que les juristes ont longtemps vécu avec une distinction classique entre la « hard law », la loi qui est dure, c'est à dire celle qui est dans le Code de commerce notamment, et la « soft law », laquelle consisterait en de vagues recommandations. Or, manifestement, on est aujourd’hui très loin de cette logique, parce que derrière la recommandation, il y a une espèce de logique qui s'est mise en place et qui fait que le non-respect va se traduire par des sortes de « dénonciations ». Par exemple, un rapport est rendu par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) tous les ans, lequel indique ce qui lui paraît être une déviation au regard de ces recommandations. L'AFEP-MEDEF, de son côté, a déjà mis en place un rapport qui, lui, est publié tous les 2 ans. Plus récemment encore, l’AFEP-MEDEF a mis en place une instance de surveillance, ce qui veut dire que la recommandation qui n'est pas respectée, est une recommandation qui, tôt ou tard, va être dénoncée. Elle va être dénoncée, elle va être reprise et au delà même de cette simple dénonciation, il y a le pouvoir d'influence direct qui va s'exercer sur la société concernée, parce que telle entreprise qui n’aura pas respecté pas la recommandation, sera convoquée avec l'obligation de s'expliquer. Il faut donc être vigilent avec ce mot « recommandation » qui, ici, est un mot très doux, pour exprimer une réalité qui est plus brutale, me semble-t-il. Une recommandation « contraignante », merci Alain.