Nous allons voir maintenant, la question de la cessation des fonctions des dirigeants. Quelqu'un qui dirige une société, peut voir ses fonctions cesser pour différentes raisons. Certaines sont problématiques, d'autres sont beaucoup plus simples. Pour voir cela, je vais être assisté de Stéphane Sylvestre, avocat, lequel va illustrer le propos, par quelques exemples pratiques de révocation ou de cessation des fonctions. J'ai fait un lapsus, puisque je parle déjà de révocation, mais il s’agit du cas qui posera certainement le plus de problèmes. En effet, vous comprenez que cesser ses fonctions, parce qu'on avait été nommé pour 3 ans et que les 3 ans se sont écoulés, est une situation relativement simple. Démissionner en revanche, est déjà un peu plus sensible, puisque le dirigeant n'est pas tenu de rester en fonction jusqu'au bout. Cependant, s'il démissionne la veille de la cessation d'un contrat sensible, des difficultés peuvent surgir. Stéphane, tu as peut-être vu cela en pratique. Peut-être existe-t-il des démissions de dirigeants qui sont particulièrement gênantes ? Oui, effectivement Bruno, certaines démissions peuvent être considérées comme fautives et en règle générale, ce que l'on prévoit dans les statuts pour éviter ce genre de circonstances, c'est un délai de préavis. Ainsi, le dirigeant ne peut pas, du jour au lendemain, démissionner, quitter la société et abandonner le navire. Donc, effectivement, c'est un cas qui est fréquemment encadré par les statuts, dans la mesure où le risque le plus important concerne le dirigeant qui, par exemple, quitte la société pour partir à la concurrence. C'est en effet une autre chose, mais pour la démission, il est possible de prévoir dans les statuts, qu'il faut respecter 3 mois à 6 mois de préavis ; qu'il faut informer un certain nombre de personnes avant de donner sa démission. Le problème, bien sûr, c'est que si on ne respecte pas cela, on ne va pas être ramené de force dans la société… On ne fait, alors, qu’engager « sa responsabilité ». Cela est vrai. À ce moment là, si le dirigeant cause un préjudice à la société, il doit bien évidemment l’en indemniser. Mais cela relève de la théorie, car dans la pratique, il est vrai que je n'ai vu que très rarement une société, en tous les cas pour cette raison, poursuivre son ancien dirigeant. Oui, c'est plus pour inciter le dirigeant à ne pas partir trop vite que pour espérer obtenir vraiment quelque chose, notamment une indemnisation, en raison d'un préjudice qui sera difficile à démontrer. Mais ce que tu disais aussi est important. Le fait pour un dirigeant de démissionner pour partir à la concurrence, est quelque chose que la société peut tenter de limiter ou d'éviter, avec des clauses particulières que sont les clauses de non concurrence. C'est à dire que le dirigeant s'interdit, lorsqu'il aura quitté la société, pendant un certain temps et dans une zone géographique déterminée, de faire concurrence à la société. On sait que l’on a aujourd'hui une solution pour les salariés qui consiste à ce que la clause ait une contrepartie financière pour le salarié. Or, aujourd'hui ce n'est pas la solution qui est retenue par la Cour de cassation pour le dirigeant, mais cela pourrait évoluer. Parce qu’après tout, interdire à quelqu'un d'exercer son activité ne justifie-t-il pas une contrepartie spécifique et pas seulement se dire que, lorsqu’il était rémunéré, cela rémunérait aussi cette interdiction d'exercer une activité. Voilà une question qui évoluera peut-être. Effectivement, aujourd'hui c'est uniquement en droit du travail que l'on impose une contrepartie financière à la clause de non concurrence qui est souscrite par un dirigeant. Maintenant, en pratique, lorsque l'on négocie pour les dirigeants sociaux, lorsqu'ils arrivent en poste dans une société, on prévoit bien évidemment que, si clauses de non concurrence il doit y avoir, elle sera rémunérée. Alors on discute du montant de la rémunération, de la période pendant laquelle cette rémunération devra être versée, mais une chose est sûre, le dirigeant ne va pas prendre le risque de souscrire une clause de non-concurrence sans que celle-ci ait une contrepartie financière. Sur ce point je pense que l’on peut dire que le droit du travail a un petit peu « contaminé » le droit des sociétés. Dernier cas qui est important en pratique, c’est celui de la révocation. C'est à dire que la société va mettre fin aux fonctions du dirigeant avant l'arrivée du terme de ses fonctions. La société va résilier le mandat social, mettre fin à la mission du dirigeant avant terme, parce que par exemple, elle n'est plus satisfaite de son dirigeant ou tout simplement parce qu’elle souhaite en changer en raison d’un dirigeant qu’elle estime meilleur et qu'elle voudrait voir remplacer son dirigeant actuel. Alors, on a une distinction classique. Dans certaines sociétés, pour que celle-ci puisse révoquer son dirigeant, il faut qu’elle apporte la preuve d'un juste motif. Par exemple, la société devra prouver que le dirigeant a des insuffisances professionnelles ; démontrer que le dirigeant exerce une activité concurrente, ou encore que le dirigeant est indélicat. Dans ces cas, si la société révoque le dirigeant sans juste motif, elle va simplement s'exposer à devoir lui verser des dommages-intérêts. C'est par exemple le cas du gérant de société civile ou du gérant de SARL, ces dirigeants étant révocables sur juste motif. Et puis nous avons par ailleurs des dirigeants qui sont révocables ad nutum, ce qui signifie en latin, « sur un signe de tête », c'est à dire que l’on peut leurs désigner la sortie d'un signe de tête. Tel est le cas par exemple l'administrateur de la société anonyme ou du directeur général de la société anonyme, lorsque celui-ci est président du conseil d'administration en même temps et donc administrateur – le « PDG ». Ces dirigeants là peuvent être révoqués d'un signe de tête, c'est à dire, concrètement, sans préavis, sans motif et sans indemnités. Cependant, en pratique, on sait que la jurisprudence a nuancé ces solutions, notamment en admettant des clauses d'indemnisation, dans une certaine mesure. Alors, si la loi réglemente dans les sociétés cotées les « parachutes dorés », la jurisprudence admet des clauses d'indemnisation de manière générale, tant que l'on montre que la clause n'est pas d'un montant tel, qu'elle entraverait de manière excessive le principe de la révocation ad nutum. Et puis, la jurisprudence a aussi eu des exigences particulières. Elle a demandé à ce qu'il n'y ait pas de fautes commises lors de la révocation, donc pas d'injures, pas de défilé du dirigeant qui quitte la société dans une haie des salariés l'injuriant lorsqu'il s'en va. Mais elle a aussi posé des exigences plus inattendues. Ainsi, les juges ont demandé, peut-être parce qu’ils sont habitués à cela, à ce que l'on respecte les droits de la défense ou le principe du contradictoire. L'idée est que, si je révoque un dirigeant, même révocable ad nutum, il faut qu'une discussion puisse tout de même s'instaurer entre la société et son dirigeant, avant la révocation. Alors jusqu'à récemment, on considérait qu'il suffisait de permettre au dirigeant de s'exprimer sur la question de sa révocation. Mais il y a un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 14 mai 2013 qui a exigé que l'on communique au dirigeant les motifs qui fondent sa révocation ou qui pourraient fonder celle-ci. Ce qui fait que, finalement, on va être assez exigeant et que l’on va parler d'obligation de loyauté de la société à l'égard du dirigeant qu'elle révoque. Et voilà que l’on va demander qu'il y ait un véritable dialogue qui s'instaure avec le dirigeant qui va probablement être révoqué. Cela dit, lorsque l’on met à l'ordre du jour une révocation, on sait que généralement, le processus de révocation est déjà bien avancé. Et c'est vrai que cette jurisprudence va être assez contraignante parce qu’en pratique, comment est-ce que cela se passe ? Dans la réalité, on ne met jamais la révocation du dirigeant à l'ordre du jour. On se contente de convoquer une assemblée ou un conseil d'administration et à l'ordre du jour, il y a examen de la gestion. Et sur le fondement de la théorie des incidents de séance, théorie en vertu de laquelle, au cours d'une assemblée ou lors de la tenue d'un organe collégial, on peut toujours procéder à la révocation des dirigeants. C'est effectivement à ce moment là que, à l’image « du lapin qui sort du chapeau », on trouve que la gestion du dirigeant est insuffisante, voire désastreuse et que là, on le révoque. Alors effectivement, le risque pour la société est quand même assez limité, puisque il n'y aura pas de réintégration possible, même si la révocation a été prise en violation du principe du contradictoire, et ce même si au cas particulier, il aurait fallu un juste motif. D'accord, très bien Stéphane, je te remercie.