Nous allons maintenant voir un texte particulièrement important puisque c'est le premier article qui ouvre le titre du Code civil consacré à la société. Pour parler de ce texte, je suis avec Alain Couret, Professeur à l'Université Paris 1, avocat associé au bureau CMS Francis Lefebvre. Ce texte dont nous allons parler, c'est l'article 1832 du Code civil. Ce texte est particulièrement riche Alain, on sait qu'il comporte trois alinéas et nous allons voir progressivement les différents alinéas. Commençons peut-être par le premier tout simplement. Donc ce premier alinéa que nous dit-il ? Il nous dit que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter ». Nous reverrons un certain nombre de ces éléments, mais, première chose de laquelle je voudrais qu'on parle Alain, c'est cette notion de « société instituée par un contrat » : pourquoi est-ce que le texte emploie ces termes, est-ce qu'il les a toujours employés ? Non Bruno, il ne les a pas toujours employés. Je voudrais rappeler que ce texte est dans le Code à l'origine, et ce n'est qu'à une époque récente finalement, en 1985, que l'on ajoute cette idée que la société est « instituée ». Alors « instituée » : pourquoi ce vocabulaire ? sans doute pour une raison technique - qu'on retrouvera tout à l'heure dans le 2ème alinéa - , mais indépendamment de cela, je pense qu'il y a aussi à l'arrière-plan l'idée que la société, même si elle est en contrat, c'est aussi une organisation qui est derrière, et cette idée d'organisation appelle peut-être un vocabulaire qui ne peut pas se ramener totalement à l'idée de contrat. Le code civil (c'est le bout de phrase qu'on a un petit peu après : "des personnes qui conviennent par un contrat"), le Code civil était très attaché à cette idée de contrat et d'ailleurs c'est « Du contrat de société » dont il est question dans le Code civil, mais, et je pense que le législateur traduit un petit peu ici le sens commun pour la grande majorité de l'opinion publique, lorsque l'on parle d'une société importante, Saint-Gobain, Peugeot ou autre, on n'imagine plus depuis longtemps le contrat qui est à l'origine de cela ; ce que l'on voit fonctionner c'est une organisation, et donc le code me semble-t-il, a, d'une certaine manière, mis cet article un petit peu au goût du jour, mais je rappelle qu'il y avait aussi une raison technique sur laquelle on reviendra un petit peu tout à l'heure. D'accord. Alors ce qu'il faut comprendre aussi c'est qu'on nous parle de « contrat » et « d'entreprise commune». Cette « entreprise commune », est-ce que c'est « l'entreprise » telle qu'on la connaît au sens économique du terme ? Ça n'est pas certain en tous les cas. Il n'est pas sûr que lorsqu'on a rédigé ce texte, c'était avec cette idée. Oui, je crois que le mot « entreprise » ici est beaucoup plus neutre, parce qu'il faut se méfier un petit peu de ce mot : les juristes savent de manière générale qu'« entreprise » est un mot extrêmement problématique. En droit du travail, on l'utilise largement et elle a une certaine signification. En droit des affaires, c'est une notion qui est très vague, qui est très floue et qui a très peu de de traduction juridique. Donc en réalité, c'est un contrat qui consiste à affecter à un projet commun, enfin je crois que c'est le mot de de « projet commun », qui a véritablement du sens, et ça serait, je pense, une erreur juridique que de vouloir lire derrière ce mot « entreprise » une notion à contenu juridique réel. D'accord. Alors on a ensuite un 2ème alinéa, qui est particulier puisque l'on nous dit que « la société peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l'acte de volonté d'une seule personne ». Donc on n'a plus le contrat de société, c'est une société unipersonnelle. Oui, c'est une société unipersonnelle. Là encore, les choses sont un peu récentes, mais je crois que le législateur français n'a fait que s'adapter à une réalité qui est internationale, la société d'une seule personne. On la trouve aujourd'hui à peu près dans tous les pays européens et sans doute au delà des frontières de l'Europe. L'idée ici, c'est que, dans l'état actuel de notre droit, il est quand même extrêmement difficile de faire qu'un individu commerçant puisse limiter sa responsabilité (ou tout au moins à l'époque où ces sociétés ont été introduites, c'était difficile), donc pour essayer de faire qu'un entrepreneur limite sa responsabilité, on est passé par cette espèce de détour, qui consistait à admettre qu'une société pouvait n'avoir qu'un seul seul associé. Mais attention, il faut quand même être très prudent ici, toute société ne peut pas être instituée avec une seule personne. Ça reste l'exception au principe général. Globalement, la société a toujours un caractère contractuel. Exceptionnellement, dans des cas que le législateur a très précisément visés, on peut instituer une société avec une seule personne. C'est le cas de la Société par actions simplifiée : on peut avoir une SASU, une Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle, et c'est également le cas en matière de SARL. C'est une réalité d'ailleurs un petit peu plus ancienne. Parfait. Et dernier alinéa que nous allons voir ensemble, c'est l'alinéa qui nous dit "les associés s'engagent à contribuer aux pertes". Alors ce n'est pas l'espoir de tout associé que de contribuer un jour aux pertes, mais c'est ce dernier élément que nous apporte l'article 1832. C'est le versant négatif de l'intention de participer aux résultats : on espère profiter d'un bénéfice ou d'une économie et si ça va mal, on va contribuer aux pertes. Alors est-ce que ça veut dire qu'on va devoir remettre de l'argent dans la société si on contribue aux pertes ? Normalement, qu'est-ce que c'est que cette notion de « contribuer aux pertes » ? C'est une notion qui est un petit peu délicate à manier selon les sociétés. Ou bien ce sont des sociétés à responsabilité limitée au sens extrêmement large, c'est-à-dire non seulement la SARL, mais également la Société anonyme ou encore la Société par actions simplifiée et dans cette hypothèse, a priori, les associés ne sont pas amenés à contribuer au pertes. S'il s'agit d'une Société en nom collectif, société de personnes, d'une Société en commandite simple (au moins pour les commandités), dans cette hypothèse, au contraire, les associés vont être amenés, dans le cas où la société ne ferait pas face à ses obligations, à régler à sa place une partie, éventuellement la totalité du passif. Tout à fait. Alors l'idée, en fait, de « contribution aux pertes », c'est surtout que, dans toute société, on court le risque de ne pas reprendre tout ou partie de son apport. On court bien entendu le risque de ne pas reprendre tout ou partie de son apport quelle que soit la société. C'est le risque maximum dans certaines sociétés : on perdra son apport ; dans d'autres sociétés, il y a un risque plus grand encore qui est d'être appelé sur ses biens, sur son patrimoine personnel, à régler les dettes de la personne morale dont on était l'associé. Parfait. Merci Alain.