Parmi les éléments spécifiques du contrat de société, nous avons parlé des apports, nous avons parlé de l'intention de participer au résultat, positif ou négatif, et nous voyons maintenant un 3ème élément qui est l'affectio societatis. Qu'est-ce que « l'affectio societatis » ? Ce sont des mots latins qui désignent l'intention ou le sentiment d'être associé. Certains auteurs vous disent qu'on utilise du latin parce que cela évite de comprendre clairement ce dont il s'agit. Et bien c'est un élément constitutif du contrat de société. Vous ne le trouvez pas dans le code, vous ne le trouvez pas à l'article 1832 du Code civil parmi les éléments constitutifs : cet article mentionne les apports, l'intention de participer au résultat, mais pas l'affectio societatis. C'est un troisième élément : l'intention d'être associé. Comment est-ce qu'il est défini précisément ? C'est la doctrine, c'est la jurisprudence qui l'ont défini. On a un arrêt de la Cour de cassation rendu le 3 juin 1986 qui vous dit que l'affectio societatis suppose que les associés collaborent de façon effective à l'exploitation dans un intérêt commun et sur un pied d'égalité, chacun participant aux bénéfices et au pertes. On peut déjà enlever l'aspect « participer aux bénéfices et aux pertes » parce que cela c'est un autre élément du contrat de société que nous avons déjà vu. Ce qui reste c'est le fait de participer de façon effective à l'exploitation dans un intérêt commun et sur un pied d'égalité. L'associé, normalement, ne participe pas ou pas automatiquement à l'exploitation. L'associé ne travaille pas forcément pour la société. Il peut se contenter de faire un apport d'argent et il n'a pas ensuite à participer à l'exploitation, mais on comprend qu'il y a l'idée d'implication, le fait de se comporter d'une certaine manière et le fait de parler d'intérêt commun, de parler d'égalité, là on a des choses plus importantes, plus tangibles pour l'associé. Pourquoi ? Parce que l'associé est celui qui agit dans un intérêt commun et il veut se comporter de manière égalitaire par rapport aux autres associés. De quoi est-ce qu'on le distingue de cette manière ? On le distingue, en réalité, du salarié : le salarié ne se comporte pas sur un pied d'égalité avec son employeur puisqu'il est dans un contrat qui prévoit un lien de subordination. Le salarié doit obéir aux directives de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail. En revanche, lorsque l'on est en société avec quelqu'un, on prend les décisions ensemble. Peut-être qu'il y en a un qui a 1% des droits de vote et l'autre 99% et donc avec 1%, on comprend qu'on devra se plier à la volonté de la majorité, mais il n'empêche, on n'est pas là pour obéir systématiquement aux autres, on n'est pas là pour exécuter leurs directives. On est normalement là pour décider ensemble des affaires de la société. Si on est en présence d'un associé qui donne des ordres aux autres pour leur dire comment ils doivent exécuter leurs prestations, il y a peut-être nécessité de requalifier le contrat de société en autre chose et particulièrement en contrat de travail. En jurisprudence, on a vu, par le passé, des contentieux dans lesquel vous aviez des personnes qui, pour ne pas appliquer le droit du travail, avaient fait des sociétés : une société, par exemple, d'exploitation d'une entreprise de transport dans laquelle l'un apportait de l'argent et des véhicules, et l'autre faisait un apport en industrie et il apportait son activité c'est-à-dire qu'il allait - c'était son apport en industrie - , conduire des camions aux horaires qui lui étaient indiqués par l'autre associé. La ficelle est un peu grosse. Vous comprenez que, de cette manière, on essaye de déguiser le salarié en associé. L'avantage c'est que, pour quelqu'un qui n'est pas salarié mais qui est associé, vous n'avez pas la protection du droit du travail et du licenciement, vous n'avez pas à payer des charges sociales que vous auriez à payer pour le salarié. De la même manière, vous ne rémunérez votre salarié que si la société a gagné de l'argent puisque, si c'est un associé et non un salarié, il ne peut recevoir d'argent de la société que s'il y a une distribution de bénéfices sous forme de dividendes. Cela veut dire qu'il faut que la société ait réalisé un bénéfice. Donc vous voyez tous les avantages que l'on peut trouver à avoir appelé un salarié associé en réalité, même s'il n'est pas véritablement associé. L'affectio societatis est important parce qu'il permet de constater qu'on a bien une société. On se pose moins la question quand on signe véritablement un contrat de société, mais là où on peut vraiment se poser la question, c'est lorsqu'on est en présence d'une société créée de fait, c'est-à-dire quand on veut démontrer que des personnes se sont comportées comme des associés mais sans l'avoir dit véritablement. Dans cette hypothèse, si c'est un associé qui demande la qualification d'une relation en société créée de fait, il faudra qu'il démontre que les différentes personnes concernées ont fait des apports, qu'elles les ont faits avec l'intention de participer aux résultats et également qu'elles avaient l'affectio societatis. Cette notion d'affectio societatis se rencontre aussi lorsque l'on veut démontrer qu'une société était fictive, qu'il n'y avait pas de véritable société. Un moyen de le démontrer sera de dire que les associés n'avaient pas véritablement l'affectio societatis, qu'ils n'avaient pas l'intention de se comporter comme des associés. Le fait de ne pas se rendre aux assemblées, le fait de ne pas s'intéresser aux affaires sociales, voilà la preuve d'un défaut d'affectio societatis. Dernière question encore que l'on peut voir : l'affectio societatis est nécessaire lorsque l'on constitue la société. En jurisprudence on a discuté le point de savoir s'il fallait démontrer qu'une personne qui achetait ou qui souscrivait à des parts ou à des actions en cours de vie sociale avait aussi l'affectio societatis. La dernière jurisprudence en date sur le sujet, un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 11 juin 2013, va vous donner une solution qui est que l'affectio societatis n'est pas une condition de validité d'une cession de droits sociaux. Il n'y a donc pas besoin de démontrer que celui qui achète ou qui va acheter des parts ou des actions est bien animé de l'affectio societatis. On peut considérer que ce n'est pas très logique : pourquoi est-ce qu'il faudrait qu'on ait l'affectio societatis lorsque l'on constitue la société, mais pas en cours de vie sociale ? On peut aussi se dire que, finalement, c'est une bonne solution, parce que ça évite de fragiliser les cessions. Vous imaginez celui qui doit maintenant payer les parts qu'il a achetées ou qu'il va acheter et qui, tout d'un coup, dit "Ah mais je ne peux plus rentrer dans la société, je viens de me rendre compte que je n'ai pas mon affectio societatis" ? Je plaisante bien évidemment, mais vous comprenez que cela serait facile si l'on exigeait qu'il y ait ce sentiment d'associé chez toute personne qui rentre dans une société en cours de vie sociale : ça lui serait facile de se défiler et de ne plus exécuter son engagement.